Une histoire et une promesse du monde par Jean Euphèle Milcé
Déjà auteur de plusieurs tribunes très remarquées et consacrées à la compréhension de la société haïtienne dans toutes ses composantes, Garaudy Laguerre propose à présent un long roman à la fois déroutant et attachant. Un livre qui vaut le détour ne serait que pour redécouvrir ou de comprendre l’horizon indépassable de la fumisterie de l’homo haitianus du dernier quart du vingtième siècle. Doté d’une capacité d’observer les sentiments primaires chez les autres, aussi tranchant que facétieux, l’auteur aura croqué, à travers des personnages attachants, certains jusqu’au dégoût, une petite bourgeoisie haïtienne complexée et ambitieuse jusqu’à l’excès.
« Le promeneur de chien » est un texte tendu et pourtant fluide où quatre personnages qui se disputent une place à prendre dans le cœur du lecteur. Grace est métisse sans le comprendre. Conçue par un accident amoureux sur une plage d’Haïti, un lieu de passage comme une zone tampon dans un aéroport international, elle porte en elle l’innocence de celle qui cherche la paix dans le confort d’une famille protégée des tourments du monde. Sa quête, à la fois nécessaire et légitime, tend à faire d’elle une passerelle entre sa mère morte (qu’elle n’a jamais connue) et sa fille, petite plante qui grandit bien et qui finira par porter des fleurs. Et, la sœur retrouvée est le fruit inespéré. Une manière de sceller leur destin, désormais partagé, Grace, sa fille et sa sœur choisissent de s’attabler au cœur de la ville qu’on prend volontiers pour le cœur du monde : New York. Ville colorée, gourmande, consolante et surtout qui fait danser. « L’orchestre reprit l’air de Louis Armstrong, là où il s’était arrêté. … et je me dis, quel monde merveilleux. »
Puis Hannah, ce creuset de l’histoire du monde, de l’Est à l’Ouest, porte silencieusement en elle des histoires de guerres, de discriminations de disparitions et d’absences qui s’éparpillent aux quatre vents. « Malgré l’avis négatif aux voyageurs, avertissant qu’Haïti est dangereux pour les trois “ amis importants d’Haïti “ – les États-Unis, la France et le Canada – Hannah avait décidé de s’y rendre quand même. Elle pensait aux risques que son père et sa famille avaient pris pendant la Seconde Guerre mondiale, et considérait le voyage en Haïti comme un acte de défi, le plus révolutionnaire des petits voyages qu’elle ait jamais entrepris dans un pays inconnu. »
Et, Djafou l’Africain de toutes les convictions, respectueux de son histoire, militant de la mémoire et porteur d’un avenir d’ouverture vers les autres qui refuse d’acclamer et de pleurer « pour un type qui venait de bombarder un tas d’Africains, hommes, femmes et enfants, pour lesquels personne dans le public ne versait une larme ». Même quand il s’agit d’un personnage de cinéma.
De fait, Garaudy Laguerre a su proposer, dans ce premier roman, des personnages autonomes, porteurs de luttes, même les plus mesquines, certains des personnages sont de véritables archétypes. Comme Narcisse, un brin personnage balzacien, qui pouvait se targuer « d’être bien informé, un intellectuel moderne et révolutionnaire, bien qu’ayant des idées très traditionnelles. Il utilisait toutes les révolutions, toutes les théories, toutes les histoires et toutes les astuces à sa disposition pour arriver à ses fins, et pour que les femmes se soumettent à sa volonté. »
Le livre est traversé par tant de petites guerres qu’il permet au lecteur d’arpenter les couloirs de l’ONU, ceux du ministère des Affaires étrangères pavés de colorisme, d’alliances politiques, de faux semblants et de privilèges. Il y a là, sous la plume précise, insistante et inventive de l’auteur, un tableau presque complet de l’Haïti et du monde pendant le dernier quart du vingtième siècle.
Comble du bonheur, tout se joue à New York, la ville interculturelle, don des rêves d’immigrés à l’humanité. Et, la musique, les complots et les goûts du monde accompagnent cette belle escapade littéraire. « Ils partageaient quelque chose de grand, et ils l’avaient réalisé. Il y eut des larmes et des voix hésitantes alors que beaucoup d’entre eux réalisèrent qu’à ce moment de séparation, ils n’étaient pas seulement des amis, des familles, des citoyens et des expatriés.
Ils étaient tous des New-Yorkais ! »
« Le promeneur des chiens » de Garaudy Laguerre est disponible dès le 19 novembre sur la plateforme Amazon dans sa version en anglais, sous le titre : The dog walker. La version française sera dans le bac des libraires, en Haïti et ailleurs, début décembre.
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